Les morts d'innocents dans une guerre lâche
On estime à 3767 au moins le nombre de civils tués par les bombardements américains

The Guardian, 20 décembre, 2001
Seumas Milne

Le prix du sang déjà versé pour la guerre des Américains contre le terrorisme commence à se faire jour. Ce prix n'a pas été payé par les Britanniques ou les Américains, ni même par les leaders d'al-Qaida ou les chefs taliban, tenus responsables des attentats du 11 septembre à New York et Washington. Non, ce prix a été payé par des Afghans ordinaires, qui n'avaient rien à voir avec les atrocités commises, qui n'ont pas élu les théocrates taliban qui les ont dirigés, et qui n'ont pas choisi de donner l'asile à Ben Laden et ses acolytes.

Le Pentagone est resté très discret sur le nombre de victimes qu'il pense avoir fait sous les missiles lâchés en nombre sur l'Afghanistan. Très sensibles à l'impact que les chiffres pourraient avoir sur le soutien international pour la guerre, les porte-parole ont souvent rejeté les rapports concernant les victimes civiles avec un simple "ces chiffres sont invérifiables", ou en récusant parfois qu'il y ait pu avoir un seul mort. Les médias américains ont beaucoup abondé dans ce sens. Sept semaines après le début de la campagne de bombardements, le Los Angeles Times évaluait tout juste le nombre de morts "à plusieurs dizaines au moins".


une femme victime des taliban et des raids américains

Un Afghan lève la tête d'un enfant qui, avec 11 autres civils, sont morts pendant les raids aériens américains sur Kaboul le 28 octobre 2001, des témoins ont rapporté qu'un homme et ses sept enfants avaient été tués par une bombe atterrie sur leur maison. (photo AP)
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Pour la première fois, une étude systématique indépendante a été menée par Marc Herold, professeur d'économie américain à l'Université du New Hampshire, pour dénombrer les victimes civiles en Afghanistan. Sur la base de rapports corroborés par des agences de secours, l'ONU, les témoignages, les chaînes de TV, les journaux et les agences de presse du monde entier, Herold estime qu'il y a eu au moins 3767 civils tués par les bombes américaines entre le 7 octobre et le 10 décembre. Ce qui revient à 62 innocents tués par jour - et dépasse le chiffre de 3234 morts évalués dans les attentas de New York et Washington, le 11 septembre.

Il ne s'agit, bien sûr, que d'une estimation faite par Herold. Mais ce qui impressionne dans son travail, c'est non seulement la méticulosité des contrôles, mais aussi la prudence avec laquelle il traite chaque incident rapporté. Le nombre de morts n'inclut pas ceux qui sont morts des suites de leurs blessures, ni ceux tués ces 10 derniers jours, ni encore ceux morts de froid et de faim en raison de l'interruption de l'approvisionnement des aides humanitaires ou parce qu'ils ont dû fuir pendant les bombardements. Les morts militaires ne sont pas prises en compte non plus (estimées à plus de 10 000 par certains analystes, en partie sur la base d'expériences passées sur les bombardements à outrance), ni celles des prisonniers massacrés à Mazar-i-Sharif, Qala-i-Janghi, à l'aéroport de Kandahar et ailleurs.

Les champions de la guerre insistent sur le fait que ces victimes sont regrettables mais nécessaires au sein d'une campagne juste visant à éradiquer les réseaux mondiaux de terrorisme. Ils vivent dans un autre monde, ils évoquent les victimes civiles des attaques du World Trade Centre et ajoutent qu'eux n'ont pas intentionnément tué les civils afghans.

Mais la distinction qui est faite est bien plus ténue. Comme le dit Herold, le nombre élevé de morts de civils afghans est à imputer directement à la tactique et au ciblage des Américains (et Britanniques). La décision de tout miser sur les attaques en haute altitude, le ciblage des infrastructures urbaines et les attaques répétées sur des villes et villages très peuplés reflètent le choix délibéré de protéger la vie des pilotes et soldats américains non pas contre celle des taliban, mais bien contre celles des civils afghans. Des milliers d'innocents sont morts ces deux derniers mois, pas seulement malencontreusement à la suite de la décision de renverser le régime taliban, mais parce que la vie des Afghans a bien peu de valeur aux yeux des stratèges militaires américains.

Les raids sur des cibles, telles que le barrage électrique de Kajakai, le central téléphonique de Kaboul, le bureau de la chaîne de TV al-Jazeera, les camions et bus bondés de réfugiés et les camions civils d'acheminement du carburant, n'étaient pas des erreurs. Ni les morts qu'ils ont causés. Il en va autant de l'utilisation de bombes à fragmentations dans les zones urbaines. Mais, l'opinion publique occidentale ne s'intéresse pas à tout ce qui a été fait en son nom. Après le mitraillage, par des hélicoptères de combat US AC-130, du village paysan de Chowkar-Karez en octobre, faisant au moins 93 victimes civiles, un officiel du Pentagone n'a pas trouvé mieux que de déclarer : "les gens d'ici sont morts par notre volonté", tandis que le Secrétaire à la défense US, Donald Rumsfeld, faisait ce commentaire : "Je ne peux pas traiter le cas de ce village."

Hier, Rumsfeld a avoué par inadvertance le peu d'impact de la campagne afghane (d'atteindre son but premier qui était d'amener Ben Laden et les chefs d'al-Qaida devant la justice) sur la menace terroriste, en spéculant sur l'éventualité d'attaques cataclysmiques, notamment sur Londres. Il n'y aura pas de minute de silence officielle pour les victimes afghanes, pas de nécrologie dans les journaux ou de recueillements en présence du premier ministre, comme cela a été le cas pour les victimes des tours jumelles. Mais, ce qui a été cruellement démontré, c'est que les USA et leurs alliés sont prêts à sacrifier des milliers d'innocents dans une guerre lâche.

s.milne@guardian.co.uk







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